Jean-Emmanuel Paillon, Secrétaire général du Comité d’histoire des administrations chargées de la Santé (CHAS)

1. Vous avez accepté d’endosser la fonction de secrétaire général du Comité d’histoire dès sa création. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

J’ai accepté avec enthousiasme car je suis convaincu qu’un ministère gagne à se doter d’un regard réflexif sur ses propres actions, à travers le prisme de l’histoire. Le CHAS m’est apparu dès le départ comme un lieu où l’on peut articuler mémoire, savoirs et expériences, au service d’une meilleure compréhension des politiques publiques en santé. Contribuer à la naissance d’un tel comité était une opportunité rare : poser les bases, faire dialoguer les générations et les expertises, construire une culture commune autour de notre patrimoine institutionnel et social.

Cette mission prolonge une expérience marquante que j’ai conduite pour la mission du Centenaire du ministère de la Santé en 2020 : j’avais alors contribué à la réalisation de la galerie des portraits des ministres, à l’organisation de la cérémonie commémorative en présence de plusieurs anciens ministres, conçu un film retraçant l’histoire du Ministère, ainsi qu’une exposition d’affiches sur la prévention en santé. Ce travail de mémoire, accueilli très positivement, a nourri ma conviction de l’utilité d’un dispositif pérenne dédié à l’histoire de nos administrations chargées de la santé, à la fois pour éclairer les politiques publiques et pour reconnaître l’engagement de celles et ceux qui les mettent en œuvre.

2. Avant cette prise de fonction, vous exerciez déjà au sein des ministères sociaux. Comment cette nouvelle mission s’inscrit-elle dans votre parcours ?

J’ai souvent évolué dans des postes où l’on cherche à donner du sens à l’action publique, à construire des récits collectifs dans la durée. C’est un fil rouge dans mon parcours, notamment à travers mes fonctions dans la communication d’abord au ministère du Travail puis au ministère de la Santé, à ma sortie de l’ENA. Ce souci de relier les politiques publiques aux personnes qui les portent m’a toujours guidé.

L’idée de créer un comité d’histoire au sein du ministère de la Santé existait depuis plusieurs années, sans avoir encore trouvé sa traduction institutionnelle. Elle a été relancée à l’occasion du Centenaire du ministère. Comme l’a souligné sa présidente, Roselyne BACHELOT-NARQUIN, lors de l’installation du comité, il s’agissait de remédier à une « lacune » Le CHAS est le dernier comité d’histoire ministériel à avoir été créé, alors que la plupart des grands ministères s’étaient dotés depuis longtemps d’instances similaires*.

Être secrétaire général du CHAS s’inscrit naturellement dans mon parcours : c’est un poste transversal, à la croisée de l’histoire, de la stratégie et de la valorisation de l’action publique. Il me permet d’animer une dynamique collective avec des historiens, d’anciens fonctionnaires ou encore en fonction, de nombreux professionnels du secteur, dans une démarche ouverte sur la société et d’information du plus grand nombre.

*Un comité d’histoire existe depuis 1973 pour les institutions de Sécurité sociale (Comité d’histoire de la Sécurité sociale, CHSS), et un autre pour le ministère du Travail (Comité d’histoire des administrations chargées du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, CHATEFP)

3. Le CHAS fête sa première année d’existence. Quel regard portez-vous sur cette première année ? A-t-il, selon vous, commencé à trouver sa place auprès des agents du ministère ?

L’année écoulée a été fondatrice. Le CHAS a été officiellement installé en avril 2024, et ses instances de gouvernance ont rapidement été mises en place : trois séances du comité plénier comprenant 36 membres, quatre de la commission scientifique présidée par Hélène SERVANT, et des réunions du bureau du CHAS tous les mois. Ce rythme soutenu, sous la houlette de sa présidente, témoigne d’un engagement collectif et d’un pilotage structuré. À titre d’exemple, un programme de travail a été construit à partir d’une consultation des membres, à travers un questionnaire qui a permis de dégager des priorités partagées pour les trois prochaines années.

Plusieurs projets structurants ont été menés à bien durant sa première année d’existence : la célébration du 50ᵉ anniversaire de la loi Veil sur l’IVG, avec une exposition reprise et adaptée de celle conçue par les Archives nationales, une soirée d’inauguration, et la diffusion en avant-première du documentaire Il suffit d’écouter les femmes, en présence de plusieurs ministres ; le lancement du Prix Germaine Poinso-Chapuis, du nom de la première femme ministre de plein exercice, et ministre de la Santé, pour valoriser les projets de médiation culturelle d’étudiants ; une première conférence sur l’histoire de la santé mentale, organisée en mars 2025 dans le cadre de la Grande cause nationale.

À cela s’ajoutent une collaboration avec la DGS, qui a sollicité le comité pour contribuer à l’élaboration d’une chronologie des politiques de santé publique sur les 50 dernières années, et une première mise en réseau avec les autres comités d’histoire, notamment autour de la figure de Marc Bloch.

Le CHAS commence à être identifié comme un acteur de valorisation de la mémoire ministérielle, mais aussi comme une ressource par les agents eux-mêmes. Certains y voient un espace de reconnaissance, d’autres un outil de transmission. Sa newsletter trimestrielle, sa présence sur le site internet, sur l’intranet, et peut-être bientôt sur les réseaux sociaux, participent à cette visibilité. Nous n’en sommes qu’au début, et un travail de pédagogie reste nécessaire pour ancrer le CHAS dans le paysage institutionnel. Mais les premiers retours sont très encourageants.

4. À vos yeux, quelle est la valeur ajoutée d’un comité d’histoire au sein d’une administration comme celle-ci ?

Le comité apporte un double éclairage : il permet de comprendre les politiques publiques à partir de leur genèse, de leurs transformations, et il valorise l’engagement des agents qui les incarnent. Ce n’est pas une histoire figée, mais une histoire vivante, en mouvement. À travers les archives, les témoignages, les récits collectifs, on met en lumière les tensions, les arbitrages, parfois les hésitations. C’est un outil de compréhension, mais aussi de reconnaissance.

Trois exemples me semblent illustrer ce double objectif. Lors de la préparation du cinquantenaire de la loi Veil, on est saisi par l’émotion contenue dans les archives, en particulier dans le texte du discours de Simone Veil. Il mérite d’être lu, transmis, partagé. Ensuite, nous allons prochainement enregistrer un entretien avec Bernard Kouchner pour revenir sur la gestion des grandes crises sanitaires et la loi de 2002 sur les droits des patients, dont on célèbrera les 25 ans en 2027. Enfin, nous souhaitons explorer les liens entre histoire et culture visuelle, notamment en mobilisant l’image et l’émotion pour sensibiliser un public plus large — y compris les jeunes — lors de conférences où films, affiches et archives dialoguent avec les analyses scientifiques.

Ces actions s’inscrivent dans le cadre stratégique défini par Roselyne BACHELOT-NARQUIN, présidente du CHAS, qui veille à donner à ce comité une portée à la fois scientifique, citoyenne et mémorielle.

Ces exemples montrent que l’Histoire n’est pas qu’une affaire de mémoire : elle éclaire le présent, aide à penser l’avenir, et nourrit le débat démocratique.

5. Comment imaginez-vous l’avenir du CHAS à court et moyen terme ? Y a-t-il un projet en particulier qui vous tient à cœur ?

Depuis début 2025, le comité a clairement changé d’échelle.

Plusieurs projets structurants vont voir le jour :

  • le lancement de cycles de conférences, poursuivant l’ancrage du CHAS dans les grands débats contemporains, comme celui autour de la santé mentale avec une deuxième conférence prévue en octobre (cf. la rubrique Agenda) ou du rôle de la France dans l’histoire de la santé mondiale ;
  • une première campagne de recueil de témoignages oraux (RTO) auprès d’anciens ministres et hauts fonctionnaires de la Santé, pour garder trace non seulement des décisions prises, mais aussi de la manière dont elles ont été formulées et portées — dans leur voix propre, avec leurs convictions, leur engagement ;
  • la préparation de la commémoration des 50 ans de la première loi de lutte contre le tabagisme de 1976, avec une double exposition en partenariat avec les Archives nationales et une conférence co-organisée avec Santé publique France sur la place de la communication dans la prévention.

Le projet qui me tient particulièrement à cœur, c’est précisément celui inscrit dans cette commémoration : exhumer cinquante ans de campagnes de communication sur le tabac. Il s’agit à la fois de valoriser un patrimoine graphique et politique, et d’interroger la place qu’occupent ces messages dans notre mémoire collective. Ce projet m’est d’autant plus cher qu’il fait écho à mon parcours dans la communication publique : il incarne ce lien vivant entre message, image et politique de santé.

À moyen terme, j’aimerais que le CHAS devienne un lieu de référence pour réfléchir aux politiques sociales et sanitaires dans le temps long : un espace de réflexion interdisciplinaire, accessible, capable d’ouvrir le dialogue entre universitaires, professionnels, agents, et citoyens.