Bibia PAVARD, Florence ROCHEFORT, Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Les lois Veil – Un siècle d’histoire, La Découverte, 2024

L’ouvrage est le fruit de la collaboration de trois historiennes de générations différentes, spécialistes reconnus sur les mouvements féministes.

À l’occasion du cinquantenaire des lois Veil sur la contraception (1974) et l’avortement (1975), les éditions La Découverte publient, en poche, un ouvrage paru en 2012 chez Armand Colin. Cette édition « entièrement mise à jour intègre les savoirs et analyses produits par de récents travaux et se justifie par l’actualité de l’avortement en France et dans le monde ». Le livre intègre aussi un nouveau chapitre sur les départements d’outre-mer qui permet de sortir de l’Hexagone.

Pour les autrices, il s’agit de faire l’histoire d’un événement et d’inscrire celui-ci dans la longue durée. Mais aussi d’articuler l’action d’une femme, Simone Veil, avec la lutte collective des mouvements féministes en faveur des droits à la contraception et à l’Interruption volontaire de grossesse. Le rôle important des médias dans ce combat est souligné mais aussi le fait que ces derniers ont, en fait, révélé des changements de mentalités à l’œuvre dans le domaine de l’intime. Enfin, les autrices entendent montrer les avancées permises par ces lois mais aussi les combats poursuivis, après 1975, pour élargir le droit des femmes à disposer de leur corps.

Jean-Yves LE NAOUR, Catherine VALENTI, Histoire de l’avortement (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique »), 2003

En 2003, Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti proposent un ouvrage ambitieux par son propos : faire une histoire de l’avortement depuis le milieu du XIXe jusqu’à la fin du XXe siècle. L’idée force du livre tient donc dans sa longue durée : un siècle et demi durant lequel la question de l’avortement fut au centre de débats tant politiques, que juridiques, économiques et sociaux. Composé de manière chronologique, l’ouvrage reprend l’évolution de la perception de l’avortement en prenant soin de confronter à chaque fois les différents points de vue.

La pratique de l’avortement s’est très largement répandue au XIXe siècle, en rapport avec les profondes mutations sociales et matérielles de la nouvelle civilisation industrielle. La généralisation des moyens mécaniques a complété voire supplanté les vieilles potions herbacées et les remèdes plus ou moins inefficaces issus de l’Antiquité. Cependant les ressorts moraux sont invoqués pour venir justifier la répression : crime contre Dieu, l’avortement devient également et avant tout, de la fin du XIXe siècle jusqu’à 1945, un crime antinational et antipatriotique qui enlève de nouveaux citoyens et de nouveaux soldats à une communauté angoissée par son atonie démographique et par le dynamisme de la natalité allemande.

La revendication du droit à l’avortement va désormais se faire entendre. D’abord par la reconnaissance thérapeutique, en 1852. Défendu ensuite dans une perspective révolutionnaire par les néo-malthusiens de la Belle Époque, le droit des femmes à disposer de leur corps finit par s’imposer au début des années 1970, entraînant avec lui un débat passionné qui ne cessera pas avec le vote de la loi Veil.

Laura TATOUEIX, Défaire son fruit. Une histoire sociale de l’avortement en France à l’époque moderne, Paris, EHESS, coll. « En temps & lieux », 2024.

Issu de son travail de thèse, le livre de Laura Tatoueix propose une synthèse sur l’avortement en France à l’époque moderne. Couvrant une période allant de l’édit d’Henri II de 1557 au Code pénal de 1791, l’autrice s’attache à mettre en lumière une pratique interdite, occultée dans les sources, ce qui la rend impossible à quantifier et complexe à étudier. Le défi méthodologique consiste alors à dévoiler sa présence dans les discours, malgré la volonté de ceux qui la condamnent et de celles qui y ont recours d’en effacer ou masquer les traces.

L’ouvrage est divisé en trois parties, articulant normes et pratiques. La première partie examine la construction de l’avortement en tant que crime, d’abord à travers les écrits théologiques, puis dans les traités juridiques laïques. L’autrice s’emploie à reconstituer les enjeux liés à la définition et à la délimitation du terme. Outre la difficulté de définition, l’avortement est également difficile à prouver. Dans la deuxième partie, en s’appuyant sur un corpus varié et disparate de procédures judiciaires, l’autrice explore les méthodes d’investigation et les modalités de punition. Elle cherche à comprendre la difficulté de la répression judiciaire de l’acte. La troisième partie vise à reconstituer les parcours individuels des femmes cherchant à avorter. Il s’agit de dévoiler leur expérience sociale et corporelle en étudiant les réseaux clandestins et les sociabilités secrètes.

Marie BARDIAUX-VAÏENTE, Carole MAUREL, Bobigny 1972, Glénat, 2024.

Un procès pour l’histoire. Ce roman graphique, développé avec force et réalisme par Marie Bardiaux-Vaïente et magnifié par Carole Maurel, revient sur l’histoire de celles qui ont préparé le terrain pour la loi Veil, promulguée en 1975.

Le procès de Bobigny est un procès contre l’avortement qui s’est tenu en octobre et novembre 1972 à Bobigny. Cinq femmes y furent jugées : une jeune femme mineure — Marie-Claire Chevalier — qui avait avorté après un viol, et quatre femmes majeures, dont sa mère, pour complicité ou pratique de l’avortement. Ce procès, dont la défense fut assurée par l’avocate Gisèle Halimi, eut un énorme retentissement. L’avocate prendra le pari avec l’accord de ses clientes de transformer ce « fait divers » en véritable procès politique en faveur de la légalisation de l’avortement. Avec l’aide de son amie Simone de Beauvoir, elles écrivent à quatre mains le célèbre « Manifeste des 343 » du nombre des femmes signataires affirmant publiquement avoir déjà avorté malgré la loi du 31 juillet 1920 pénalisant cet acte.

Dès lors, l’écho du procès de Bobigny de 1972 allait résonner jusque dans les arcanes de l’Assemblée nationale où l’interruption volontaire de grossesse, après le long et âpre combat de Simone Veil, fut finalement dépénalisée le 17 janvier 1975.

« Un filliot, si tel est mon voeil ! » Avortement et justice au Moyen Âge, avec Charlotte PICHOT et Julie PILORGET, Le Cours de l’histoire, France culture, mercredi 6 novembre 2024.

Xavier Mauduit reçoit les historiennes Charlotte Pichot, dont les recherches portent sur le corps des femmes et le crime à la fin du Moyen Âge et Julie Pilorget, dont les recherches portent sur la place des femmes en milieu urbain au Moyen Âge.

Au Moyen Âge, avorter est un crime. Les traces qui nous sont parvenues témoignent des tentatives de contrôles exercées par la justice sur leur corps. Les infanticides et les avortements, souvent commis pour dissimuler une relation adultère ou non-consentie, sont sévèrement punis. En étudiant les actes judiciaires médiévaux, notamment les lettres de rémission soumises au roi, on observe une surveillance rigoureuse du corps féminin par la société toute entière.

« Droit à l’avortement aux États-Unis, luttes du passé au présent », avec Anne LEGIER et Marion PULCE, Le Cours de l’histoire, France culture, mardi 15 octobre 2024.

Criminalisé au 19e siècle, l’avortement est rendu illégal dans tous les États, en 1910, sous l’impulsion des médecins américains. Cette criminalisation s’inscrit dans des enjeux de pouvoir genrés. L’avortement n’est pas au centre des combats du féminisme de la première vague aux États-Unis. Les années 1960 et 1970 voient la libéralisation des législations sur la contraception et l’avortement à l’échelle des États fédérés. C’est en 1973 que le fameux arrêt Roe v. Wade légalise l’IVG à l’échelle fédérale.

Néanmoins, le 24 juin 2022, la Cour suprême a révoqué l’arrêt de 1973 par sa décision Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization. Le droit à l’avortement est déclaré comme étant non constitutionnel. Il appartient de nouveau aux États fédérés de réglementer l’accès à l’avortement, qui a depuis été interdit dans treize États.

Xavier Mauduit reçoit Anne Légier, maîtresse de conférences en études américaines à l’Université Paris Cité. Ses travaux portent sur l’histoire de l’avortement, des femmes et du genre aux États-Unis et Marion Pulce, professeur agrégée d’anglais. Elle enseigne la civilisation des États-Unis à Sciences Po Lyon. Ses recherches portent notamment sur la Cour suprême, l’histoire des féminismes et l’histoire des minorités ethno-raciales aux États-Unis.