Guillemain (Hervé), Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), éd. La Découverte, 2006 (coll. « l’espace de l’histoire »).
Quand elles s’appliquent à la souffrance des âmes, médecine et religion s’opposent-elles ? L’histoire de la folie pourrait s’écrire en retraçant la lente marche vers une « laïcisation de l’esprit » : le prêtre progressivement dépossédé de son pouvoir guérisseur par le médecin, l’âme qui tend à se fondre dans l’univers neurologique, l’inconscient qui surgit avec la psychanalyse au début du XXe siècle. Pourtant, l’étude des pratiques thérapeutiques, religieuses et laïques, incite à réviser assez largement cette vision schématique.
Dans ce livre ambitieux, Hervé Guillemain révèle que la thérapie morale et psychologique des aliénistes et des psychologues doit quelque chose aux pratiques religieuses. Les techniques hypnotiques regardent ainsi du côté de l’exorcisme et la psychanalyse du côté de la confession. On sait peu par exemple que, dans l’entre-deux-guerres, des chrétiens jouèrent un rôle important dans la diffusion de la psychanalyse dans la société française. L’histoire des pratiques thérapeutiques de la folie et des troubles psychiques, depuis le traitement moral appliqué dans les asiles d’aliénés au XIXe siècle jusqu’aux psychothérapies modernes du XXe siècle, apparaît à certains égards comme un nouveau développement de l’histoire des directions de conscience héritées du christianisme. L’auteur avance que, loin de s’opposer, la médecine, la psychologie et la religion font partie d’une même histoire sociale et culturelle.
Goldstein (Jan), Consoler et Classifier. L’essor de la psychiatrie, [Le Plessis-Robinson], Synthélabo, 1997 (coll. « les Empêcheurs de penser en rond »).
En 1987, Jan Goldstein propose un éclairage nouveau sur la naissance de la psychiatrie française qui, loin de redoubler le travail généalogique de Michel Foucault, en éclaire singulièrement les affirmations d’un point de vue historique. Pour l’auteure, c’est moins la pratique carcérale en psychiatrie qui est objet d’investigation, que les enjeux théoriques, politiques et philosophiques hérités des Lumières qui permettent à la nouvelle science de se constituer progressivement de manière autonome. La psychiatrie hérite d’un débat philosophique dans lequel il faut choisir son camp, entre physiologie et psychologie. Ces hésitations aboutirent au XIXe siècle à de nouvelles tensions entre « consoler », porté par des valeurs cléricales, et « classifier », avancé par le matérialisme anticlérical. Ce débat permettra d’asseoir la nouvelle psychiatrie et garantir son indépendance.
Jan Goldstein, historienne américaine spécialisée dans l’Europe moderne, a fouillé les archives des grands hôpitaux de Paris pour mieux comprendre ce qu’était alors la psychiatrie et les raisons pour lesquelles elle a réussi à s’imposer avec autant de force.
Le Bras (Anatole), Artières (Philippe, préf.), Un enfant à l’asile, CNRS éditions, 2018.
La psychiatrie à hauteur d’homme. Mars 1896, entre les murs de l’asile d’aliénés Saint-Athanase de Quimper, l’interné Paul Taesch, 22 ans, rédige son autobiographie. La découverte de ce document exceptionnel et émouvant conservé dans son dossier de patient a été le point de départ d’une incroyable enquête dans les archives.
Né en 1874 d’un père inconnu et d’une mère morte en couches, Paul est interné dès l’âge de 12 ans à la section pour enfants aliénés de Bicêtre. Diagnostiqué épileptique, débile, hystérique ou encore dégénéré, le voilà ballotté d’une institution à l’autre, entre Paris, Ville-Évrard et Quimper. Cet itinéraire de souffrance, de liberté volée, d’espoirs déçus, offre un éclairage saisissant sur la réalité asilaire à la fin du XIXe siècle.