Premier traitement de la dépression légère à modérée, l’activité physique et sportive est aussi une alliée dans la prévention et la prise en charge de nombreuses maladies psychiatriques. Bouger au quotidien aide aussi à garder un meilleur moral. Rencontre avec le Professeur François Carré, cardiologue et médecin du sport, qui a exercé une grande partie de sa carrière au Centre hospitalier universitaire de Rennes. Pionnier de la prescription de l’activité physique adaptée dès 1983, François Carré a mis en place au sein de son service un centre santé bien-être en proposant de l’activité physique adaptée à tous les patients atteints d’une maladie chronique. Il est également président du collectif Pour une France en Forme.

1. En quoi l’activité physique et sportive est-elle un facteur protecteur reconnu au niveau de la santé mentale ?
Les bénéfices de l’activité physique et sportive sur la santé mentale et sur la santé du cerveau ont été prouvés scientifiquement. Elle agit directement sur l’organisme en réduisant les niveaux d’inflammation et de stress oxydant, et en augmentant l’efficacité du système immunitaire, qui contribue à la défense de l’organisme. Au niveau du cerveau l’inflammation altère à la fois le fonctionnement des cellules cérébrales et de leurs mitochondries, les usines énergétiques des cellules, essentielles à leur bon fonctionnement.
L’autre particularité de l’activité physique et sportive est sa capacité à augmenter en particulier par le cerveau la libération des hormones dites du bonheur comme la sérotonine et la dopamine ce qui participe à l’amélioration du moral en cas de dépression.
Enfin le renforcement des liens sociaux associé et l’amélioration de l’estime de soi associés à la pratique des activités physiques et sportives jouent aussi un rôle important.
2. Y a-t-il à l’inverse, un lien entre sédentarité et le manque de pratique d’activité physique et la santé mentale ?
Les preuves entre les niveaux de sédentarité et/ou d’inactivité physique et le risque accru de développer des troubles dépressifs ou anxieux et de burn-out sont bien démontrées en particulier chez les jeunes. On sait aussi qu’en cas de plan social dans une entreprise, les personnes faisant le plus de burn out sont souvent celles qui pratiquent le moins d’activité physique régulière.
3. La pratique régulière d’un sport peut-elle améliorer le mal-être, notamment ressenti par un certain nombre de jeunes ?
On entend souvent dans la bouche des lycéens les termes : « flemme », « je déprime » ou « je m’ennuie », qui sont des symptômes classiques de la dépression caractérisée par un manque de ressort et de dynamisme.
Plusieurs études ont montré que les enfants qui bougent régulièrement ont une meilleure santé mentale à l’adolescence. De la même manière, les adolescents qui pratiquent un ou plusieurs sports seront des adultes plus épanouis et sereins.
Une autre preuve scientifique concerne le niveau de capacité cardio-respiratoire, un des déterminants de la condition physique individuelle. Plus elle est élevée et meilleure sera la santé globale du sujet et en particulier sa santé mentale, et ceci à tout âge. On note ainsi un score de risque de développer des troubles dépressifs ou anxieux plus élevé chez les personnes avec une faible capacité physique. Or la seule façon d’améliorer sa capacité physique, c’est de bouger.
4. L’activité physique et sportive peut-elle aider les personnes souffrant d’un trouble mental ? Lesquels conseiller ?
Rappelons que l’activité physique et sportive est une thérapie non médicamenteuse validée par la Haute autorité de santé (HAS) depuis 2011 dans environ 40 maladies chroniques. C’est aussi le premier traitement de la dépression légère à modérée (hors pensées suicidaires). On peut, si cela est justifié, lui associer pendant quelques jours des doses faibles d’antidépresseurs. Les récidives de dépression sont diminuées, à condition bien sûr de poursuivre l’activité physique dans le temps.
Dans l’anxiété, l’activité physique fonctionne aussi très bien, tout comme dans les syndromes post-traumatiques et les burn-out.
Les neurologues et psychiatres ont maintenant l’habitude de dire que l’activité physique est la nourriture du cerveau. « Le muscle est une pharmacie ambulante » rappelle aussi la Pr Martine Duclos, médecin du sport et endocrinologue. Lors de l’effort, en se contractant le muscle libère des molécules appelées myokines dont certaines sont utilisées dans des médicaments.
Au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, spécialisé dans la prise en charge des troubles psychiques et addictions, tous les patients pratiquent une activité physique et voient leurs traitements (contre la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression) diminuer. Car si ces derniers ont un bénéfice sur les symptômes de la maladie, ils peuvent entraîner des effets indésirables non négligeables tels que de la somnolence et une prise de poids. La synergie activité physique et sportive associée aux médicaments neurologiques est bien prouvée scientifiquement.
Les médecins, en collaboration avec les professionnels du sport santé comme les enseignants en activité physique adaptée, les masseurs-kinésithérapeutes et les psychomotriciens, proposent aux patients atteints d’un trouble psychiatrique de pratiquer de l’activité physique adaptée à leur maladie, et surtout à leurs limites physiques et psychologiques. Cette activité physique adaptée associe toujours au moins deux types d’exercice du cardio ou endurance (marche rapide, footing, vélo, natation ou danses actives) pour stimuler le système cardio-vasculaire et du renforcement musculaire pour renforcer les qualités des muscles. En effet ces deux types d’exercices ne provoquent pas la libération des mêmes types myokines, et il est prouvé que c’est leur association qui est la plus efficace pour améliorer la santé physique et mentale.
A ce combo, il est possible de rajouter une activité physique stimulant la réflexion, comme c’est le cas pour les sports collectifs qui enseignent notamment le respect des règles. Un enfant qui pratique basket, foot ou handball développe ainsi au mieux ses capacités d’apprentissage. Chez l’adulte, en particulier âgé, la pratique régulière de la danse, a un effet particulièrement bénéfique pour la santé. Mais l’essentiel et de rappeler aux patients que leur choix d’activité physique et sportive doit se baser sur le désir et le plaisir qui sont les deux moteurs de sa pratique au long cours.
5. La fatigue est souvent un frein à l’activité physique et sportive, notamment en cas de trouble psychique. Comment surmonter cette difficulté ?
Paradoxalement, l’activité physique et sportive est le meilleur traitement de la fatigue. Il est essentiel de convaincre une personne dépressive qui manque de ressort que, contrairement à ce qu’elle pense, bouger « défatigue » et lui permettra de voir d’une autre façon le monde qui l’entoure grâce à la libération de sérotonine. En fait, oui la pratique d’une activité physique peut induire une sensation de fatigue mais il s’agit d’une bonne fatigue avec des sensations positives améliorant l’estime de soi, alors que la maladie mentale induit une « mauvaise fatigue avec des idées noires.
Si une personne aime la nature, on lui recommandera de marcher dans un environnement extérieur qui lui plait. Si elle préfère être entourée, la pratique d’une activité sportive en groupe, avec des interactions sociales, aura un effet bénéfique sur ses symptômes dépressifs.
Attention toutefois à ne pas partir sur des activités trop intenses et trop longues en durée qui peuvent entraîner de la souffrance physique voire morale qui risque de démoraliser les patients. L’essentiel est donc de commencer lentement et doucement en fonction de son niveau et de son ressenti qui doit toujours être positif.
Au même titre que l’alcool ou les jeux, le sport peut faire l’objet d’une addiction ou bigorexie. « Dans le cadre de ce trouble, la personne ne parle et ne vit qu’à travers le sport » explique le Pr François Carré. La vie sociale, personnelle et professionnelle peut lui être sacrifiée. Le traitement passe par une prise en charge psychologique. « Il s’agit toutefois d’un risque exceptionnel qui touche peu de personnes ».
On peut être sportif et sédentaire, pratiquer du sport chaque semaine, mais passer plus de 8 heures par jour assis devant un écran. « Le fait de rester assis 10 heures par jour en moyenne devrait être compensé par une à deux heures d’activité physique sportive quotidienne » explique le Pr Carré qui précise aussi que les myokines ont une durée de vie de 36h. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de ne pas passer plus de 48h sans activité physique. Bouger 30 minutes par jour est un minimum. L’activité physique et sportive doit devenir une routine intégrée à son quotidien, sans oublier qu’elle n’est pas synonyme de sport. En effet si tous les sports sont des activités physiques, toutes les activités physiques ne sont pas des sports.
Pour en savoir plus :
- Lire l’article Activité physique et sportive : bouger pour une bonne santé mentale, du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
- Lire l’article Activité physique, sédentarité et santé, du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
- Consulter le Guide santé mentale et activité physique du ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Via associative.