
Une femme meurt toutes les 7 minutes en France d’une maladie cardiovasculaire (infarctus, accident vasculaire cérébral, embolie pulmonaire…). Pourtant, 8 décès sont 10 sont évitables rappelle la Fondation Agir pour le Cœur des Femmes qui sensibilise pour alerter, anticiper et agir. En ce 8 mars, journée internationale du droit des femmes, interviews de la Pr Claire Mounier-Véhier, professeure de médecine vasculaire au CHU de Lille, Université de Lille et cardiologue, cheffe de service d’un centre de bilans dédié aux parcours de santé cardio-gynécologique et de Thierry Drilhon, Administrateur et dirigeant d’entreprises, tous les deux co-fondateurs du fonds de dotation Agir pour le Cœur des Femmes.
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- La Pr Claire Mounier-Véhier et Thierry Drilhon, co-fondateurs du fonds de dotation Agir pour le Coeur des Femmes – Crédit photo Caleb Krivoshey
1. L’infarctus est en progression chez la femme ces dernières années, comment l’expliquer et existe-t-il des symptômes spécifiquement féminins ?
CMV : L’infarctus ne vient souvent pas par hasard. On retrouve des facteurs de risques associés liés à l’environnement, notamment le stress lié à la charge mentale chez les femmes, associé à une alimentation déséquilibrée, un passé de tabagisme, du cholestérol…D’où l’importance du dépistage. La maladie cardiovasculaire est évitable dans 8 cas sur 10.
Le principal symptôme, chez l’homme comme chez la femme, est une douleur en étau irradiant dans le bras et la mâchoire due à une occlusion brutale et complète de l’artère coronaire. Dans un cas sur deux chez la femme, il s’agit d’une gêne dans la poitrine, atypique parfois associée à un essoufflement à l’effort et une fatigue plus intense. Il s’agit aussi parfois de troubles digestifs, de sensations de brûlures isolées dans la gorge avec un essoufflement, qui peut faire penser à un sentiment d’angoisse. Les femmes méconnaissent ces symptômes d’alerte et appellent souvent trop tardivement les secours. De ce fait, le diagnostic est souvent plus tardif avec de vraies pertes de chances.
TD : Près de 50 % des symptômes liés aux maladies cardiovasculaires sont spécifiquement féminins. Le problème c’est qu’une femme qui se plaint de fatigabilité à l’effort, de douleurs aux omoplates et de troubles œsophagiens s’entendra répondre : « Reposez-vous et prenez du paracétamol ». Un homme oppressé avec douleurs dans le bras et la poitrine sera envoyé chez le cardiologue. N’oublions pas enfin, que les femmes sont beaucoup plus dures à la douleur que les hommes.
D’autre part, et pour un certain nombre de raisons, y-compris culturelles, le massage cardiaque est beaucoup moins pratiqué sur une femme qui fait un infarctus.
2. Comment les femmes peuvent-elles prendre soin de leur cœur et de leurs artères ?
CMV : Il est important d’expliquer aux femmes que le risque cardiovasculaire est un grand tout dans lequel l’hérédité joue une grosse part, suivie de ce que j’appelle « des petits malfaiteurs » que sont le tabac, le stress, le cholestérol et l’hypertension artérielle, notamment. Ces facteurs de risques, associés à la situation hormonale, abîment les artères de façon plus marquée que chez les hommes.
Il est possible d’agir soi-même en repérant ces facteurs de risques et en travaillant sur son hygiène de vie, notamment lors des 3 âges clés de la vie hormonale d’une femme que sont la contraception, la grossesse et la ménopause.
Des outils de prévention sont disponibles au téléchargement sur le site Agir pour le Cœur des Femmes, tels que les fiches pratiques : « Je prépare ma consultation », « Savoir lire ma prise de sang », « La consommation de sel ».
TD : Il s’agit d’abord de connaître ses antécédents familiaux, savoir si ses parents ou grands-parents ont eu au cours de leur vie un accident vasculaire cérébral, un accident cardiaque…. Dans ce cas, le suivi sera différent.
Il est également impératif de ne pas manquer ses rendez-vous médicaux, bilans de prévention et de les préparer bien en amont, en notant par exemple les questions à adresser au médecin.
Enfin, c’est avoir une vie le plus saine possible : bouger, faire du sport, manger équilibré, réduire sa consommation de sel (pas plus de 6g par jour), particulièrement délétère sur le système cardiovasculaire des femmes en raison du risque de rétention d’eau et d’hypertension artérielle. C’est aussi éviter le tabac, boire de l’alcool modérément, veiller à son sommeil…prendre soin de soi. Et surtout, s’autoriser à s’écouter, sans se dire : « ça va passer » !
3. Quels conseils donneriez-vous aux différents âges clés de la vie d’une femme ?
CMV : Les femmes ont des facteurs de risques spécifiques dits émergents, qui sont liés à leur phase hormonale avec 3 périodes de repérage.
La première est liée à la contraception. Il est important de préparer sa consultation avec un gynécologue en se renseignant sur les antécédents familiaux d’accidents artériels (AVC, veineux, phlébite, embolie pulmonaire…) contre-indiquant la prescription d’œstrogènes de synthèse. Durant cette période, on peut aussi être amené à dépister d’autres pathologies et troubles tels que l’endométriose et le syndrome des ovaires polykystiques qui sont aussi des facteurs de risque cardio-vasculaires émergents. Enfin, à la pré ménopause, je recommande aux femmes de faire un bilan complet à la fois gynécologique et cardiologique.
Lors d’un désir de grossesse, il est essentiel de connaître ses antécédents familiaux (pré éclampsie, diabète gestationnel). Notons aussi que les grossesses multiples et tardives, de plus en plus fréquentes, sont plus risquées pour le cœur, l’utérus et les artères utérines, qui ne sont pas les mêmes chez une femme de 35-40 ans que chez celles de 20 ans ou 25 ans. Un repérage des facteurs de risques par le médecin avant tout projet de grossesse est essentiel.
Enfin, lors de la périménopause, un suivi cardio-gynécologique précédé d’un bilan complet est indispensable, plus particulièrement chez les femmes ayant eu certains traitements de cancers du sein, une insuffisance ovarienne prématurée avant 40 ans ou une ménopause précoce …
Pour prévenir cette continuité du risque tout au long de notre vie de femme, la prévention et le repérage sont la clé.
TD : Ce que nous observons à partir des dépistages réalisés avec le bus du cœur des femmes, c’est d’abord un risque durant toute la phase de contraception. Beaucoup des femmes que nous avons vues avaient des facteurs de risques et une contraception inadaptée, qu’il nous a fallu arrêter dans 38 % des cas.
Il y a ensuite la pré ménopause, une phase importante de transformation pour les femmes.
Autre moment à risque, tout au long de la vie, notamment professionnelle : le stress lié à la charge mentale, beaucoup plus délétère sur une artère de femmes, plus fine qu’une artère d’homme avec des plaques d’athérome générées par le cholestérol, susceptibles de se décrocher beaucoup plus facilement, même chez des femmes jeunes.
Agir pour le Cœur des Femmes a lancé en 2021, le Bus du cœur des femmes, un dispositif de dépistage équipé avec l’objectif d’aller, partout sur le territoire, à la rencontre des femmes en situation de vulnérabilité. « Agir plutôt que subir, c’est amener la prévention en action au plus près des femmes avec des professionnels de santé du territoire » explique la Pr Mounier-Véhier.
Près de 300 femmes peuvent ainsi être dépistées en 3 jours. 17 étapes sont prévues chaque année. Ce repérage de 2 heures comprend des entretiens médicaux et gynécologique, des prélèvements biologiques, un bilan lipidique complet, des examens (électrocardiogramme, écho-doppler…), et une formation à l’automesure tensionnelle avec remise d’un auto-tensiomètre. A l’issue, un parcours de soins avec des rendez-vous sont donnés aux femmes. Des programmes d’éducation thérapeutique peuvent également être proposés.
« L’enjeu est aussi de fédérer et faire se rencontrer de façon multidisciplinaire et transgénérationnelle des professionnels de santé préparés aux spécificités de genre dans les maladies cardio-gynécologiques qui vont continuer à travailler ensemble au travers de parcours de soins cardiogynécologiques mis en place dans leurs structures de soins ». Depuis un an, la journée du cœur des femmes se développe à l’hôpital ou dans des structures telles que maisons pluriprofessionnelles de santé.
A ce jour, 15 000 femmes ont été dépistées avec la constitution d’un Observatoire National de la Santé des Femmes qui permet d’obtenir des données épidémiologiques sur le risque cardiovasculaire, métabolique, gynécologique, et une étude de l’impact de la précarité sur ce risque.
- 380 000 femmes hospitalisées pour maladies cardio ou neurovasculaires en 2022, dont plus de 80 000 ont moins de 65 ans.
- 950 000 femmes ont une cardiopathie ischémique connue
- Plus de 73 000 décès de femmes en 2021
- 14 % des femmes (9 % des hommes) ont une santé cardiovasculaire idéale entre 18 et 74 ans sur 7 critères : tabac, alimentation, activité physique et sédentarité, surpoids, hypertension artérielle, diabète et cholestérol.
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